1) Un rapport au travail qui évolue
Larrère et Larrère ont défini un concept de « contrat domestique » entre les animaux de ferme et nous[36] :
« On peut interpréter la domestication comme un échange de services, comme une sorte de pacte entre les hommes et les bêtes dont ils ont cherché le concours. L’idée fut énoncée par Lucrèce au siècle qui précède notre ère (voir extrait 1 ci dessous). On la retrouve chez Montaigne. Il y a, explique-t-il, « quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle » [37]. Elle est reprise, bien plus tard, par Adam Smith (voir extrait 2 ci-dessous). Quelques décennies plus tard, Henry David Thoreau en vient même à se demander, lorsqu’il écrit que « hommes et bœufs font échange de travail », si la part de l’homme n’excède pas celle du boeuf [38] . Commerce, obligation mutuelle, de cet échange de services et de devoirs, le physiocrate Dupont de Nemours fait un contrat (voir extrait 3 ci-dessous). Certes, il reconnaît que l’intention humaine n’est en rien favorable aux animaux domestiques et que l’échange est inégal. Mais il n’empêche que les hommes prennent soin de leurs animaux, et que ceux-ci vivent en paix alors que, s’ils étaient restés à l’état sauvage, ils vivraient dans « un état de terreur habituelle que le malheur passager et imprévu (pour eux s’entend) de la boucherie ne peut égaler, tout abominable qu’il est » [39]. Il n’y a donc pas d’égalité entre les hommes et leurs animaux domestiques, mais on peut envisager des relations de réciprocité. Il y a là une sorte de contrat social tacite qui impose aux hommes de ne pas maltraiter leurs animaux jusqu’au sacrifice de leur vie.»
Les mêmes chercheurs (Larrère et Larrère) parlent néanmoins d’une rupture de ce contrat domestique avec le développement de la zootechnie et des modèles d’élevages plus industriels. Les animaux ne sont plus considérés comme des individus, mais plutôt comme des « machines thermodynamiques », dont la production est à maximiser et non à optimiser[40] .
Jocelyne Porcher, chercheuse à l’INRA, défend également la théorie selon laquelle les modèles d’élevage récents installent une distance entre l’éleveur et ses animaux[41] :
« L’élevage est en train de disparaître en tant que rapport de travail avec les animaux domestiques. Cela ne concerne pas seulement les éleveurs et les amoureux des vaches, des cochons ou des moutons, mais également les compagnons des chiens, des chats ou des lapins. Car, ce qui est en cause, c’est le rapport domestique aux animaux, c’est l’insertion des animaux dans la domus humaine. Après avoir vécu 10 000 ans avec des animaux, nous sommes en train de mettre en place un monde social dont ils seront exclus. Non pas parce que c’est ce que, tous, collectivement, nous voulons vraiment, mais parce que cela apparaît comme l’orientation la plus raisonnable, la plus réaliste dans le cadre de la pensée utilitariste qui nous anime. À quoi bon les animaux d’élevage si les produits animaux peuvent être remplacés par des produits végétaux ou des produits biotechnologiques ? À quoi bon chiens et chats s’ils peuvent être remplacés par des robots ? Ce qui fait la différence, nous l’avons vu, c’est le rapport à la vie et à la mort. C’est notre capacité à entrer dans le monde des animaux et à changer de point de vue. Car vivre avec les animaux nous transforme…»
2) Un élevage de précision qui implique des changements dans la relation Humain-animal
De nombreux élevages ont aujourd’hui recours à des technologies comme des robots, ou des outils d’automatisation. Ces outils sont utiles à l’éleveur notamment pour rendre le travail moins pénible. La plupart du temps, cela a un impact sur la relation entre les éleveurs et ses animaux, qui peut-être positif ou négatif.
Dans le cas de l’installation de robots, ou d’autres outils d’automatisation sur la ferme, on peut observer deux cas[42} :
soit l’éleveur peut prendre de la distance par rapport à ses animaux (il préfère « piloter » grâce aux outils robotisés)
soit le fait d’automatiser une partie de ses tâches lui libère du temps qu’il peut utiliser pour passer plus de temps avec ses animaux.
Dans le cas de l’installation d’un robot de traite par exemple, certains éleveurs passent plus de temps au milieu du troupeau à observer leurs vaches, alors qu’ils pouvaient avoir plutôt l’habitude d’observer leurs animaux (pour détecter des problèmes, des maladies) pendant la traite avant l’installation du robot.
Le recours à l’automatisation ne signifie donc pas nécessairement une disparition de la relation homme-animal, même si elle implique le plus souvent des changements.
[37] Montaigne : Essais, Livre II, Chapitre 11
[38] HD. Thoreau : Walden ou la vie dans les bois, P. 57.
[39] Dupont de Nemours, Philosophie de l’univers, 1792, pp. 84-85.
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